Suite à un glissement de terrain causé par le changement climatique, un tsunami secoue la terre pendant neuf jours

Suite à un glissement de terrain causé par le changement climatique, un tsunami secoue la terre pendant neuf jours


Des chercheurs belges contribuent à l’étude menée par une équipe pluridisciplinaire internationale

En septembre 2023, pendant neuf jours, des chercheurs ont observé un signal sismique sans précédent. La cause de ce mystérieux « tremblement de terre » s’est avérée être un gigantesque glissement de terrain au Groenland : une masse de 25 millions de m³ de roches et de glace s’est détachée et a déferlé dans le fjord Dickson, ce qui a provoqué un méga-tsunami de 200 mètres de haut et a entrainé l’oscillation des eaux de l’étroit fjord pendant neuf jours, un phénomène connu sous le nom de « seiche ». C’est la conclusion d’une étude publiée dans la revue Science. Les ondes sismiques suscitées par cette grande masse d’eau en mouvement ont été observées dans le monde entier. Jamais auparavant un tel phénomène n’avait pu être constaté. Aujourd’hui, des chercheurs de l’Observatoire royal de Belgique (ORB), de l’Institut flamand de la mer (VLIZ) et de l’Université libre de Bruxelles (ULB) ont étudié ce mécanisme inhabituel à l’origine d’un signal sismique global.

 Animation GIF annotée des images avant et après l’événement. Crédits de l’image source : Søren Rysgaard, Danish Army. Animation GIF : Carsten E. Thuesen.

Animation GIF annotée des images avant et après l’événement. Crédits de l’image source : Søren Rysgaard, Danish Army. Animation GIF : Carsten E. Thuesen.

Une énigme résolue au sein d’une collaboration multidisciplinaire

Septembre 2023. Dans le monde entier, les sismologues observent à leur grande surprise, sur leurs appareils de mesure ultra sensibles, un mystérieux signal. Il a duré neuf jours et a été détecté du pôle Nord au pôle Sud. Ce signal ne ressemble en rien à celui d’un tremblement de terre. Il ressemble davantage à un bourdonnement monotone. Au même moment, une équipe de scientifiques de la région isolée du nord-est du Groenland détecte un important tsunami. La nouvelle se répand.

Très vite, un groupe multidisciplinaire de 68 chercheurs de 40 instituts issus de 15 pays (y compris l’ORB, le VLIZ et l’ULB) se constitue. Ces nombreux scientifiques rassemblent et partagent des données sismiques et infrasonores, des mesures et des images de terrain, des enregistrements satellites et des simulations de vagues de tsunami.

Signal sismique animé et sonifié (ondes sismiques accélérées et converties en fréquences audibles) tel qu’enregistré par une station sismique au Groenland, DK.SCO.

Les photographies prises par l’armée danoise quelques jours après l’événement s’avèrent également d’une valeur inestimable. Elles montrent l’effondrement de la paroi montagneuse et du front du glacier, ainsi que les dégâts causés par le tsunami. La combinaison des données d’expliquer l’événement extraordinaire survenu en septembre 2023 et de publier, aujourd’hui, les résultats de leur étude dans la célèbre revue Science.

Un énorme glissement de terrain s’effondrant dans un fjord étroit est à l’origine de l’onde sismique

Le signal local a été capté par un réseau de surveillance en temps réel mis en place dans le « Kong Oscar Fjord System » à l’été 2023, comprenant des caméras et des points de surveillance océanographiques. Les capteurs océanographiques ont révélé des niveaux d’eau anormaux et une turbidité très élevée dans le fjord. Dans le même temps, le signal sismique a été capté par un réseau mondial de sismomètres, à savoir des instruments scientifiques sensibles qui enregistrent les vibrations se propageant dans le sol, appelées ondes sismiques.

La sismologie se concentre prioritairement sur la mesure des vibrations sismiques résultant des tremblements de terre dans le sol. Toutefois, les données sismiques peuvent également fournir des informations relatives aux mouvements de grandes masses à la surface de la Terre, tels que les glissements de terrain et les tsunamis.

L’étude a révélé que le glissement de terrain était le résultat de l’effondrement d’un pic montagneux qui s’élevait auparavant à 1200 m au-dessus du fjord. La quantité de matériaux qui s’est ainsi effondrée est énorme : plus de 25 millions de mètres cubes, soit l’équivalent de 27 fois le volume des plus grands porte-conteneurs du monde. Cet effondrement fut provoqué par l’amincissement des glaciers situés au pied de la montagne au cours des dernières décennies, et qui trouve son origine dans le changement climatique.

Deux photos d'un fjord étroit vues du dessus à des moments différents.

Image satellite Planet Labs pré (30 minutes avant) et post-glissement de terrain (7 minutes après).

Le signal sismique était si intrigant que l’un des chercheurs a essayé d’imiter, dans son bain, le mouvement de va-et-vient de l’eau dans le fjord. Sans succès. Les modèles mathématiques, en revanche, ont pu montrer que l’orientation du glissement de terrain déterminait l’effet « seiche ». Le fait que le glissement se soit produit via un glacier perpendiculaire à un fjord remarquablement étroit et incurvé s’est avéré être la pièce manquante du puzzle pour expliquer comment le changement climatique a pu faire trembler la Terre pendant neuf jours.

En effet, les calculs du modèle montrent que l’eau du fjord devrait se déplacer toutes les 90 secondes, exactement comme dans les données d’ondes sismiques observées. Cette correspondance parfaite montre comment la force d’une masse d’eau, s’engouffrant dans un fjord d’une certaine largeur et d’une certaine profondeur, peut générer une vibration visible de l’énergie sismique dans la croûte terrestre.

Le panneau de gauche montre une visualisation du mouvement du sol, montrant l’onde sismique de la seiche du Groenland se propageant autour de la planète. Chaque cercle représente les données d’une station de surveillance sismique individuelle. Le panneau de droite montre une simulation numérique du tsunami et du processus de seiche dans le fjord. (Crédit musical : Isabelle Ryder https://isabellerydermusic.weebly.com/ ; crédit d’animation : Stephen Hicks).

Le coauteur Thomas Lecocq (Observatoire royal de Belgique, ORB) partage cet avis : « Nos premières estimations de la position de la source se sont concentrées sur l’est du Groenland. Au même moment, les autorités groenlandaises et danoises ont reçu des rapports faisant état d’un important tsunami à la station et base de recherche Nanok (alors sans personnel) sur l’île d’Ella. En tant qu’équipe de recherche interdisciplinaire et internationale, nous avons intégré toutes les informations pour présenter une reconstruction détaillée du premier grand glissement de terrain tsunamigène documenté à l’est du Groenland et de la manière dont il a généré des signaux sismiques globaux sur une très longue période. Il est étonnant que ce qui a commencé comme un contrôle de routine d’un gravimètre belge se soit transformé en une collaboration mondiale et multidisciplinaire, avec des échanges virtuels en ligne 24 heures sur 24, à travers de nombreux fuseaux horaires. Je suis heureux que nous ayons prouvé que la source des vibrations était l’effet de l’eau, et que cette aventure ait conduit à de nouvelles collaborations avec des collègues du monde entier, notamment Wieter Boone du VLIZ qui a installé des instruments sismiques de l’ORB dans le fjord de Dickson cet été afin d’améliorer notre compréhension de cette région unique ».

Le tsumani le plus élevé jamais observé dans l’histoire récente

La combinaison des simulations numériques, des données du réseau local de capteurs océanographiques et des images satellite et terrestres confirme que le méga-tsunami provoqué par le glissement de terrain doit être l’un des plus hauts jamais mesurés. Septante kilomètres plus loin dans le fjord, les vagues de 4 mètres de haut ont endommagé la station d’Ella Ø et détruit des sites du patrimoine culturel et archéologique. Le fjord est également très fréquenté par les bateaux de croisière qui visitent les fjords du Groenland.

Heureusement, aucun navire ne se trouvait dans les parages le jour du glissement de terrain et du tsunami. Les conséquences de l’énorme vague de tsunami auraient été alors incommensurables. À l’heure où le changement climatique s’accélère, l’enjeu est plus que jamais de mieux comprendre et de surveiller ces zones, considérées jusqu’à présent comme stables. La mise au point d’outils d’alerte précoce pour ces glissements de terrain et ces tsunamis de grande ampleur s’inscrit dans cette optique.

Wieter Boone (Vlaams Instituut voor de zee, VLIZ), coauteur de l’étude, explique : « Pour nos recherches, nous avons mis en place un réseau de stations océanographiques en temps réel dans le nord-est du Groenland. L’année dernière, nous avons navigué dans le fjord Dickson pour installer des instruments à proximité d’un glacier et presque juste devant la montagne, quelques semaines avant qu’elle ne s’effondre. Nos instruments ont survécu au tsunami et nous avons pu suivre les événements en temps réel. La destruction observée d’une ancienne cabane de trappeur, qui n’avait jamais été touchée par un tsunami au cours de son histoire séculaire, montre l’ampleur inattendue de cet événement. Au cours de l’enquête sur les causes de l’événement, une collaboration internationale exceptionnellement dynamique s’est mise en place, dans laquelle l’équipe de l’ORB a joué un rôle impressionnant. Cet été, nous sommes retournés dans la région. Nous avons mis à jour notre réseau de capteurs, cartographié l’impact du tsunami à l’aide de drones et installé des capteurs sismiques à haute fréquence et des capteurs de niveau d’eau dans le fjord de Dickson »

L’étude scientifique :

Svennevig et al, A rockslide-generated tsunami in a Greenland fjord rang Earth for 9 days, Science, publié en ligne le 12 septembre 2024. DOI : 10.1126/science.adm9247.